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FINANCE vs CROISSANCE

Parmi les freins à la croissance des économies occidentales et les responsables des crises financières les plus graves, trois dominent tous les autres : la financiarisation de l’économie, les pouvoirs démesurés et maléfiques d’une Finance totalement irresponsable, le laxisme des régulateurs et des gouvernements occidentaux tout aussi irresponsables.
 

FINANCIARISATION DE L’ÉCONOMIE

Dans les grandes entreprises, la part qui revient au capital, comparée à celle qui revient au travail, est en constante augmentation depuis plusieurs décennies et donne lieu à des débats politiques stériles, car ils se cantonnent au plan idéologique.
Je vois trois raisons à cette évolution :
  1. La première est objectivement normale, non idéologique. Elle tient au fait que la production est de plus en plus automatisée, ou délocalisée, ou en partie confiée à des fournisseurs et à des sous-traitants. Ainsi, la part du travail interne à l’entreprise dans le total des coûts diminue assez fortement.
  2. À l’inverse, les deux autres raisons constituent une dérive très grave, car – mortifère – pour les entreprises et pour l’économie des pays concernés.
Au siècle dernier, les actions ne rapportaient presque rien, mais prenaient de la valeur au fil des ans : elles constituaient un placement de long terme. Une part prépondérante des marges dégagées par les entreprises était consacrée à l’investissement pour les renforcer, les développer, les pérenniser, les désendetter. Dans le même temps, la rémunération des dirigeants était raisonnable, le taux des bénéfices était à un chiffre, le capital était modestement rémunéré et quelques primes étaient versées aux salariés.
Mais ça, c’était autrefois, quand les actionnaires, souvent très dispersés, n’avaient aucune exigence déraisonnable et pensaient moyen et long termes avec une mentalité Père de famille.

Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans le long terme, ni même dans le moyen, mais dans le court terme. Plus dans le raisonnable, mais dans l’indécence. Les actionnaires (fonds d’investissement, fonds de pension, fonds vautours…) exigent toujours plus, tant pour les bénéfices (à deux chiffres) que pour les dividendes, même quand les entreprises sont en difficulté ou très endettées. Quant aux dirigeants, ils réclament des rémunérations tout aussi indécentes, même en cas d’échec ! Pour ce faire, c’est simple : on pressure les salariés, les sous-traitants et les fournisseurs, on allège les produits jusqu’à les rendre moins attractifs et, surtout, avec une durabilité de plus en plus limitée, parfois même programmée.
On mène une politique à court terme en réduisant les risques (moins de nouveaux produits, de nouveaux marchés, de recherche…), on fait de l’optimisation fiscale, on demande des aides de l’État et on n’hésite pas à tricher à grande échelle !
Dans ces conditions, est-il étonnant que nos fleurons industriels palissent sérieusement ou disparaissent les uns après les autres depuis une bonne vingtaine d’années, période au cours de laquelle les gains de leurs dirigeants ont explosé. Serait-ce une malencontreuse et pure coïncidence ?

Ces dérives financières, dues au court-termisme des marchés et à des avidités sans limites, ont transformé les entreprises en sociétés à faire de l’argent au profit des dirigeants et des actionnaires, de plus en plus insatiables, et peu importent les conséquences pour les salariés, les clients et le pays, pays qui pourtant met à leur disposition les infrastructures dont les entreprises ont le plus grand besoin !
Je ne donnerai qu’un seul exemple pour illustrer ces dérives : les maisons de retraite de deux grands groupes (Envoyé spécial du 20 septembre 2018 sur France 2). Bénéfice net autour de 12 % :
Si je suis un analyste financier, je dis Bravo !
Si je suis un actionnaire, je dis Bravo, et Merci pour les beaux dividendes à venir !
Si je suis un salarié, je dis les salauds, dire qu’ils nous traitent si mal !
Si je suis un résident (ou un membre de sa famille), je hurle de rage, car je paye très cher pour un service de plus en plus dégradé et, dans certains cas, scandaleux, innommable !


Notre monde tend à se diviser en deux catégories : les fortunés (une très petite minorité) et les infortunés (une immense majorité).
Triste bilan, très inquiétant ! Quant aux valeurs humaines, l’argent mal acquis a eu leur peau !

Avant d’aborder la troisième raison, il est nécessaire de rappeler qu’il y a dans le monde une quantité énorme de capitaux disponibles qui, cherchant à se placer, génèrent des bulles. Quand on voit la valorisation délirante des entreprises, tant celles du monde Internet que, maintenant, celles du monde traditionnel, nous ne pouvons qu’être dubitatifs et très inquiets. Et ces fusions, cessions ou acquisitions ont-elles une justification économique réelle ou relèvent-elles de la pure spéculation, de l’optimisation fiscale, du besoin ou de l’opportunité de dégager des plus-values ?
Ce rappel étant fait, venons-en à l’emploi des ressources financières des entreprises. Elles se décomposent pour l’essentiel en deux flux :
  1. Les dépenses inhérentes à l’activité : salaires, achats, sous-traitances, investissements, impôts, taxes, charges…). Ce flux reste principalement dans l’économie réelle et génère de la création de valeurs, de l’emploi et de la croissance.
  2. La part extravagante des rémunérations des dirigeants et des actionnaires, à laquelle s’ajoute l’évasion fiscale. Une partie de ce flux va alimenter la masse des capitaux spéculatifs. C’est ainsi qu’une part grandissante des ressources financières dégagées par les entreprises est transférée de l’économie réelle à une économie virtuelle basée hors de nos frontières, spéculative, incontrôlée, stérile et génératrice de crises très graves !
Il y a donc le bon flux, qui se réduit de plus en plus, et le mauvais en forte croissance.
Dès lors, pouvons-nous nous étonner que les économies du monde, et particulièrement celles de l’Europe, soient atones quand leurs entreprises sont victimes de prédateurs qui, en accaparant une partie de plus en plus importante de leurs ressources financières, nuisent gravement à leur développement et à celui de l’économie en général ?
Les pays qui s’en sortent le moins mal sont ceux, comme l’Allemagne, qui ont une forte proportion d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) dynamiques, imaginatives, créatives, car elles sont souvent possédées et dirigées par d’authentiques Entrepreneurs qui raisonnent moyen et long termes, mais pour combien de temps encore ?
Pour les autres pays, dont la France, nous sommes engagés dans une voie qui mène à un déclin inéluctable de nos économies avec augmentation du chômage, de la précarité, de la pauvreté ! Il est urgent que nous changions de paradigmes, en Europe et dans le monde !

L’excès de financiarisation des entreprises tue l’entreprise comme l'excès d’impositions tue l’impôt, l'excès de lois tue la loi…
Les gouvernements des pays développés vont-ils un jour en prendre conscience et réagir ? Et je ne parle pas de la plus élémentaire décence vis-à-vis des victimes de ce système qui sont de plus en plus nombreuses à rejoindre les chemins du déclassement, de la pauvreté, de la détresse, de la violence !
Le comble, c’est que l’essentiel des aides, réductions de taxes et d’impôts que l’État accorde aux grandes entreprises alimente le mauvais flux. Et le pire, c’est que certaines d’entre elles imposent à leurs fournisseurs des baisses de prix pour récupérer les aides que l’État leur a accordées !
Et même chose pour leurs salariés, pour lesquels les baissent de charges réduisent ou annulent parfois des augmentations qu’ils auraient dû avoir !
Jusqu’à quand les États vont-ils faire des cadeaux en pure perte pour l’économie de leur pays à des entreprises qui n’ont ni morale, ni éthique, ni respect de leurs salariés, de leurs clients, de l’environnement et des pays dans lesquels elles évoluent, et qui pratiquent l’évasion fiscale à grande échelle ? Le ruissellement se produit bien, mais que très partiellement sur l’économie du pays.
Manifestement, au jeu du poker-menteur, nos gouvernants n’ont toujours pas la main ! Mais, la veulent-ils ?
 

LA PREUVE PAR L’EXEMPLE : BOEING

Beaucoup d’entreprises ont été et, hélas le seront encore, victimes de cette mainmise de la finance sur l’économie dont l’objectif n’est plus de produire des biens et des services, mais de distribuer d’énormes dividendes quelles qu’en soient les conséquences. Quant à nos dirigeants, ils sont plus sensibles au petit monde des ultra-riches qu’à celui, infiniment plus vaste, des pauvres et ultra-pauvres.
Aveuglés par toutes ces étoiles qui brillent comme des soleils, verront-ils l’une d’elles presque éteinte ? Nos plaqués or en tireront-ils des leçons ou, tels les grands prédateurs de la jungle, seront-ils indifférents au sort d’un des leurs ?
2018 : Boeing est au sommet de sa gloire, les résultats et les dividendes sont pharaoniques !
2019 : 346 morts, provoqués par deux accidents ayant la même cause, mettent le Pharaon à terre !
En cause : un logiciel anti-décrochage (MCAS) défectueux, problème connu en interne mais qui n’a pas été pris en compte, ni sur le plan technique pour y remédier, ni au niveau de l’information et de la formation des pilotes.
Le comportement de Boeing vis-à-vis de ce très grave problème est édifiant d’inconséquence et d’irresponsabilité !

Outre ce logiciel anti-décrochage défectueux, pour ne pas dire saboté par le constructeur lui-même, le 17 janvier 2020, ont été révélés un défaut de câblage électrique et un autre problème de logiciel ! Ces trois défauts révélés, en attendant peut-être d’autres à venir, et le contenu des deux courriels cités ci-après, vous donnent vraiment envie de voler en Boeing… en espérant qu’Airbus ne se comporte pas comme son concurrent américain.
En fait, pour des raisons de coûts et de délais, cette nouvelle famille d’avions, les 737 MAX, a été développée par Boeing en adaptant des moteurs de la dernière génération, plus gros et plus lourds, sur une carlingue conçue il y a plus de cinquante ans. Il en a résulté un avion instable dès sa conception !
Deux courriels de salariés, écrits en 2017, laissent rêveur :
Cet avion est conçu par des bouffons, qui, en retour, sont supervisés par des singes. Les singes sont la FAA (Federal Aviation Administration), qui sous-traite à Boeing une partie des contrôles, procédure de plus en plus fréquente, semble-t-il, et qui touche tous les secteurs d’activité industriels, y compris en Europe !
Je n’ai toujours pas été pardonné par Dieu pour ce que j’ai dissimulé l’an dernier à la FAA.

À cette occasion, on a appris que Boeing avait de sérieux problèmes avec d’autres programmes : le long courrier 777X, plombé par un problème de moteur GE, le ravitailleur KC-46 et la future capsule spatiale habitée Starliner qui ont des soucis techniques !
À la suite de ces révélations, le Conseil d’Administration de Boeing a limogé son PDG et a nommé à sa place David Calhoun, un ancien de Blackstone puis de GE, et membre de ce Conseil.
Il siège au Conseil de Boeing depuis 2009, il est donc comptable de la politique de cost-killing qui a eu un effet délétère sur le développement du MAX. estime Scott Hamilton du Cabinet Leeham.
Il ressemble beaucoup aux gens qui ont mis Boeing dans la position dans laquelle il est aujourd’hui , résume Richard Aboulafia, vice-président du Cabinet de consultants Teal Group.
D’autres rappellent qu’il a validé la priorité au retour à l’actionnaire (78 milliards de dollars versés en quinze ans), au détriment de l’ingénierie et des programmes d’avions : en dix ans, les dépenses annuelles de Boeing en recherche et développement sont passées de 6,5 à 3,3 milliards de dollars ! À comparer aux 10 milliards de dollars de résultat net en 2018 ! Cherchez l’erreur.
Et encore plus édifiant, c’est de constater que pour le monde de la finance il ne s’agit que d’une péripétie et que la vache à lait va continuer à distribuer de somptueux dividendes, bien que la société perde entre 1 et 1,5 milliard de dollars par mois depuis mars 2019 !
Mais qu’on ne s’inquiète pas, comme dans la nature, il existe des charognards pour s’occuper des cadavres.
Monsieur David Calhoun va-t-il maintenir la politique de la priorité au retour à l’actionnaire ?
Note : la matière de ce chapitre m’a été fournie par Challenges (n° 638 du 23 janvier 2020) et par Wikipédia.
 

POUVOIRS DÉMESURÉS ET MALÉFIQUES DE LA FINANCE

Dans mes livres successifs, j’ai largement abordé les dérives inadmissibles et mortifères des Barons de la finance, sans foi ni loi, comme leurs homologues de la drogue, à ceci près que ces derniers ne sont dangereux que pour eux-mêmes et leurs clients… parmi lesquels on trouve des membres de la finance. Alors que les financiers jouent avec la vie et l’avenir de la totalité de la population mondiale, leur objectif premier, et sans limites, étant leur enrichissement personnel et celui de leur institution.
Je ne suis pas le premier à pointer ces dérives, mais il se trouve qu’un livre et plusieurs études parus récemment évaluent le coût pour les États de leurs agissements. Puissent les révélations de ces études faire, enfin, réfléchir nos gouvernants et l’Europe dont l’aveuglement est incompréhensible et coupable, mais là aussi, l’idéologie leur enlève toute lucidité, à moins qu'il y ait d'autres raisons.
Ces études semblent axées sur les conséquences économiques pour les États. Nos dirigeants seront-ils plus sensibles aux points de croissance en moins qu’aux valeurs, oubliées par beaucoup, qui avaient fondé nos Républiques ?

Éric Albert, dans Le Monde du 6 octobre 2018, en fait une synthèse qu’il m’a semblé opportun de reproduire ici intégralement, car elle concerne très directement notre croissance.

La malédiction de la finance étouffe l'économie

Le poids excessif de la City [de Londres] a eu un impact négatif sur le PIB du Royaume-Uni, montre une nouvelle étude.
Les politiciens qui se lèchent les babines à l'idée d'attirer de nombreux banquiers à Paris grâce au Brexit feraient bien de faire attention à ce qu'ils souhaitent. Économiquement, cela pourrait se retourner contre eux, prévient Nicholas Shaxson.
L'auteur de The Finance Curse. How Global Finance is Making Us All Poorer (la malédiction de la finance, éditions Bodley Head, non traduit), sortie presse le 5 octobre [2018], n'est pas un dangereux anticapitaliste primaire. La finance est absolument nécessaire au développement économique, selon le journaliste. Mais son ouvrage vient vulgariser un concept ancien, redéveloppé depuis une dizaine d'années par un groupe d'économistes : trop de finance peut finir par étouffer la croissance.
Une nouvelle étude, d'Andrew Baker, de l'université britannique de Sheffield, Gerald Epstein, de l'université du Massachusetts à Amherst, et Juan Montecino, de l'université de Columbia, à New York, publiée pour coïncider avec la parution du livre, chiffre pour la première fois les dégâts de cet excès de finance pour le Royaume-Uni, pays où la City possède un poids prépondérant. Résultat : de 1995 à 2015, le pays aurait perdu 4 500 milliards de livres, l'équivalent de deux ans du produit intérieur brut (PIB) actuel. Soit 170 000 livres par foyer en moyenne. Le chiffre est une estimation qui demande d'autres recherches, précise immédiatement M. Baker. Mais il est gigantesque, et c'est un ordre de grandeur qui donne une bonne idée de la façon dont la finance écrase tout le reste de l'économie. Ce résultat est particulièrement intéressant comparé à celui des États-Unis : sur la même période, la première puissance économique mondiale aurait perdu environ un an de PIB seulement. Le coût pour le Royaume-Uni serait donc deux à trois fois plus grand parce que la finance y est proportionnellement beaucoup plus importante, explique M. Baker. Au Royaume-Uni, le secteur financier pèse 6,5 % de l'économie, après un pic à 9 % en 2009. En Europe, seuls le Luxembourg (27 %) et la Suisse (9 %) ont des secteurs financiers plus importants. En France, son poids est de 4 %, d'après une étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Il identifie une série de phénomènes où le secteur financier déforme le reste de l'économie, à commencer par un brain drain des meilleurs talents. Les ingénieurs spécialisés dans l'aérospatial finissent par modéliser les risques des firmes financières plutôt que de travailler sur des fusées, résume M. Baker. Les salaires très élevés renchérissent le coût de la vie à Londres, repoussant dans les lointaines banlieues enseignants et infirmières. L'attraction des flux financiers augmente le niveau de la livre sterling, sapant la compétitivité des autres secteurs d'activité. Londres et son secteur financier dominent les autres régions du Royaume-Uni depuis si longtemps que le pays a fini par perdre une partie de ses compétences, estime M. Baker.

Nombreux phénomènes actuels
L'étude de M. Baker met aussi au jour un autre phénomène : plus le secteur financier est important, plus les flux financiers se dirigent majoritairement vers des activités peu productives. Au Royaume-Uni, seuls 3,5 % des prêts vont vers l'industrie, s'inquiète-t-il. L'immense majorité va vers l'immobilier et les actifs financiers, provoquant des bulles et une économie circulaire sans réelle valeur ajoutée.
Les seuls bénéficiaires directs en sont les personnes qui travaillent dans le secteur financier lui-même : c'est un traditionnel phénomène de rente, comme le documentaient déjà les économistes classiques.
L'ensemble de ces phénomènes coûterait 2 700 milliards de livres, selon l'étude, auxquels il faut ajouter 1 800 milliards de livres dues à la crise financière de 2008, ce qui donne le total de 4 500 milliards de livres.

La malédiction de la finance est un concept dérivé de la malédiction du pétrole : beaucoup de pays riches en matières premières restent très pauvres, écrasés par un seul secteur qui développe la corruption, aspire tous les meilleurs talents, renchérit le coût de la vie et le cours de la monnaie locale…
Dans les années 1990, M. Shaxson était journaliste, basé en Angola, et il a largement documenté le phénomène. En 2007, il a rencontré John Christensen, un ancien conseiller économique de l'île de Jersey qui a ensuite fondé Tax Justice Network, l'une des associations britanniques les plus influentes de la lutte contre l'évasion fiscale. Pour ce dernier, le constat était évident : à Jersey, la finance écrasait tout le reste, et ses rapports appelant à la diversification de l'économie restaient lettre morte, tandis que les secteurs économiques locaux étaient asphyxiés. Quand John Christensen m'en a parlé, le parallèle m'a paru immédiatement logique, se rappelle M. Shaxson. Le concept permet de rassembler de nombreux phénomènes actuels : la financiarisation de l'économie, le développement des paradis fiscaux, le poids excessif des monopoles, le court-termisme… Si Adam Smith, Karl Marx ou encore John Maynard Keynes ont tous averti des risques de l'excès de finance, très peu d'économistes avaient tenté de chiffrer son impact. La crise de 2008 a changé les choses. En 2012, une étude du Fonds monétaire international a mis au jour une sorte de plafond maximal de la finance : quand les prêts au secteur privé dans un pays dépassent 90 % ou 100 % du PIB, la croissance commence à ralentir. Or, ce niveau atteignait 134 % en 2016 au Royaume-Uni. Depuis, la recherche a progressé. La parution de ce livre, et de cette nouvelle étude, espère maintenant vulgariser le concept.

Les chiffres
  • 4 500 : C'est, en milliards de livres, ce qu'aurait perdu le Royaume-Uni entre 1995 à 2015 à cause du poids excessif de la finance. Soit l'équivalent de deux ans du produit intérieur brut actuel.
  • 23 000 : C'est, en milliards de dollars la perte atteinte (depuis 1990) par les États-Unis, soit environ un an de PIB.
  • 134 % : C'est, en 2016, la part des prêts au secteur privé rapporté au PIB du Royaume-Uni. Au-delà de 90 % ou de 100 % du PIB, l'impact sur la croissance est négatif.
  • 6,5 % : C'est le poids du secteur financier dans l'économie britannique.
Fin de l'article d'Éric Albert.  

LAXISME DES REGULATEURS ET DES GOUVERNEMENTS

Combattre les prédateurs
La recherche effrénée des profits à court terme et des gains à des niveaux toujours plus élevés sont mortifères pour nos économies. Les prédateurs ont au moins cinq cibles.

1. Bénéfices à deux chiffres
Les sociétés qui font des profits importants (en pourcentage de leur chiffre d’affaires) sont des cibles privilégiées pour les prédateurs, les spéculateurs, les fonds de pension et d’investissement vautour, tous à la recherche de rendements toujours plus élevés et de plus-values à court terme. De ce fait, le management de ces sociétés est soumis à des pressions constantes avec comme principal, sinon seul but, la croissance des marges et des résultats. Et comme les aléas de la conjoncture, des marchés et des facteurs internes ne permettent pas toujours d’atteindre les objectifs assignés par ces actionnaires insatiables, les entreprises sont fragilisées et doivent sacrifier les moyen et long termes, comme nous venons de le voir.

2. Gains démesurés
Ces superprofits génèrent des gains aussi démesurés qu’illégitimes pour les principaux dirigeants qui en perdent tout sens des réalités, et tout sens moral. Et, comme leur valeur sur le marché des dirigeants s’évalue en millions d’euros gagnés, leur avidité est sans limites. De ce fait, trop souvent, leurs priorités sont la gestion de leur carrière et celle de l’entreprise à court terme. Quant aux responsabilités de ces dirigeants vis-à-vis de leurs partenaires, en premier lieu, à l’égard de leurs salariés et de leurs sous-traitants qui participent, chacun à son niveau, aux résultats de l’entreprise, semblent être souvent hors de leurs préoccupations.

3. Réduction des coûts à tout prix
Pour obtenir des résultats élevés, il faut réduire tous les coûts : les achats, la sous-traitance, les coûts de structure et, bien sûr, les masses salariales déterminées par les effectifs et le niveau de leurs rémunérations. Sauf pour les dirigeants. Et agir sur les éléments constitutifs des produits, quitte à les rendre moins attractifs. L’homme clé n’est plus celui qui construit le futur de l’entreprise, c’est le cost killer, celui qui réduit les coûts sans états d’âme.
Pour augmenter les marges nettes, il faut supprimer les activités de moindre rentabilité. Il en résulte des pertes de parts de marché, mais, surtout, des réductions d’emplois pouvant aller jusqu’à la fermeture d’usines et au dépôt de bilan de sous-traitants, déjà saignés à blanc par les cost killers de leurs donneurs d’ordres.
Il faut aussi mettre une pression permanente sur le personnel, parfois au-delà du supportable au point d’en conduire certains au suicide.
Il faut enfin éviter de prendre des risques en investissant dans de nouveaux produits, services ou technologies et sur de nouveaux marchés, car leur rentabilité à court et moyen termes est généralement négative ou faible. Or, c’est précisément ce dont les entreprises ont le plus grand besoin pour assurer leur développement et leur pérennité, et contribuer au bon développement de leur pays.
Et, bien évidemment, il faut tout organiser afin de payer le moins possible d’impôts et taxes, sujet qui va être développé un peu plus loin.

4. Miroirs aux alouettes
Depuis une vingtaine d’années, les exigences de rendement des fonds de placement et de pension ne cessent d’augmenter, au point de créer ou d’investir dans des produits financiers frelatés, inventés par des faussaires démoniaques (subprimes, « Madoff », etc.). Ces aberrations ont conduit à la crise financière de 2008 et à la ruine, notamment, de nombreux retraités américains. Est-il imaginable que tous les responsables qui, par leurs agissements ont gagné des fortunes et n’ont subi aucune sanction, puissent revenir d’eux-mêmes à des niveaux d’exigences raisonnables et éthiques, compatibles avec un développement sain et durable de nos économies ?
La réponse étant évidemment non, seule l’Europe, avec l’appui des États a le pouvoir d’imposer des limites aux appétits gargantuesques afin de faire ces chasses aux miroirs aux alouettes qui brillent un peu partout, dans les grandes institutions financières et dans les valorisations des entreprises. Face à un tel constat, l’Europe doit réagir vite et avec détermination.

5. Recherche de proies
Les fonds vautour, bien connus des spécialistes, devraient être interdits d’exercer leurs talents en Europe et tous les actionnaires dominants des sociétés devraient pouvoir être impliqués financièrement si des licenciements massifs interviennent dans un délai de trois, quatre ou cinq ans après leur départ de l’entreprise. Il faudrait aussi interdire les LBO impliquant des fonds d’investissement qui, trop souvent, conduisent à des catastrophes pour les salariés et pour les entreprises.
Les LBO devraient être strictement limités à son objet initial : permettre aux salariés d’une entreprise de la reprendre.

Mettre fin aux paradis fiscaux au sein de l’Union
Il faut tendre au plus vite vers une harmonisation fiscale et sociale au sein de l’Union. Il est inadmissible qu’il y ait des paradis fiscaux en son sein, et dans les pays associés. Il est très urgent d’établir des règles strictes, valables aussi pour les pays associés, car, la City de Londres si la Grande Bretagne est associée, va certainement ouvrir très grandes les vannes à des activités financières inacceptables, frauduleuses.
Il est évident que ces mesures devraient être prises au minimum au niveau de l’Europe et, si possible, du monde développé et émergent. Il n’est en effet pas possible de laisser perdurer de telles pratiques, d’autant que, si les autorités des principaux pays développés n’y mettent pas bon ordre, les disparités de revenus continueront d’exploser, avec une forte augmentation du nombre de travailleurs pauvres et de chômeurs. C’est d’autant plus insupportable que les très hauts revenus ne participent plus aux redistributions sociales quand ils s’évadent, ou dans une faible proportion quand ils restent dans le pays, en raison des niches fiscales et autres arrangements plus ou moins légaux.
Comme l’évocation de l’aspect moral ou civique a toutes les chances de laisser tout ce petit monde indifférent, j’évoquerai les risques de troubles sociaux graves et de dégradation de la conscience professionnelle, c’est-à-dire que le système court à sa propre perte. Belle perspective ! La colère des gilets jaunes, et plus généralement de la plupart des manifestants de par le monde, devrait faire réfléchir nos dirigeants.

J’ose encore espérer que les États occidentaux finiront par agir ensemble pour faire cesser cette folie et que l’Europe instituera très rapidement des règles strictes pour encadrer les plus hautes rémunérations et les dividendes. Je suggère de limiter ceux-ci à 33 % du bénéfice net (après impôt) et de déduire les gains des principaux dirigeants de l’entreprise ainsi que ceux des administrateurs. Afin de lisser leur montant, on pourrait admettre qu’ils soient calculés sur la somme des résultats des trois derniers exercices, moins ceux versés les deux années précédentes.
Il est curieux de constater que les fleurons industriels français palissent très sérieusement, ou disparaissent, les uns après les autres depuis une quinzaine d’années, période au cours de laquelle les gains de leurs dirigeants ont explosé. Serait-ce une pure coïncidence ?

Lutter contre les dérives spéculatives
Une économie virtuelle s’est développée avec Internet depuis une vingtaine d’années. Elle suscita un emballement irraisonné, créant une bulle qui a rapidement explosé. Les conséquences pour l’économie réelle furent relativement mineures, car il y avait peu d’interactions à l’époque entre ces deux mondes. En revanche, le monde bancaire et financier étant au cœur de tout le système économique, réel comme virtuel, la défaillance d’une banque peut entraîner des défaillances en cascade dans l’ensemble de l’économie comme l’ont montré les grandes crises qui ont touché toute la planète, notamment celle d’octobre 2008.
Par ailleurs, la quinzaine d’années qui viennent de s’écouler nous a offert une panoplie édifiante de malversations des plus grandes institutions financières mondiales :
  • La falsification des comptes de la Grèce pour lui permettre de rentrer dans l’Euro ;
  • Les subprimes, les titrisations, etc. qui ont permis de dissimuler des créances irrécouvrables dans des créances saines.
  • Les placements « Madoff » et autres aux rendements miraculeux ;
  • La manipulation des cours des devises, du Libor, etc. ;
  • Le surendettement dû aux banques américaines qui ont poussé les propriétaires à s’endetter très au-delà du raisonnable au prétexte que leur (unique) maison non encore payée prenait de la valeur ;
L’imagination de ces malfrats en col blanc est sans limites. Tout cela dans l’indifférence des organismes supposés contrôler leurs agissements et des gouvernements.
Les États, et plus encore ceux d’Europe, ne réagissent pas, ils laissent faire ! Goldman Sachs et consorts, les faussaires du siècle, ont encore de beaux jours devant eux et peuvent continuer à nous saigner à blanc tout en nous méprisant impunément avec un cynisme dont nos dirigeants se montrent complices. Pourquoi une telle complaisance ? Y a-t-il des connivences, des intérêts cachés… ? C’est insupportable et impardonnable ! Et maintenant, ils sont encouragés dans leurs malversations par le Président des États-Unis. Édifiant !
À ce niveau, il ne s’agit plus de libéralisme, mais de criminalité en bandes organisées.

Les actions purement ou fortement spéculatives pour leur compte devraient être strictement interdites aux banques et être réservées à des institutions indépendantes des banques qui spéculeraient entre elles avec une réglementation qui s’inspirerait de celle des casinos.
Quant aux banques qui bénéficient de la garantie de l’État, c’est-à-dire des contribuables, elles devraient être soumises à des règles très strictes et les organismes chargés de les contrôler devraient faire preuve de beaucoup plus de vigilance et de rigueur. Par ailleurs, il est bien connu que les paradis fiscaux et autres institutions financières aux mœurs douteuses (euphémisme) sont les meilleurs auxiliaires du grand banditisme, du terrorisme, des trafics humains, d’armes et de drogues, ainsi que des financements occultes, politiques notamment. Sans oublier les pays pauvres qui sont pillés en toute impunité par leurs classes dirigeantes, chefs d’État en tête.
Il est urgent d’interdire totalement le secret bancaire au plan mondial ainsi que les paradis fiscaux qui devraient être sanctionnés financièrement. D’ailleurs, ne pourrait-on pas imaginer que les organismes supranationaux (ONU et certaines de ses branches, Commission européenne, etc.) soient financés non par les États mais par les sanctions financières infligées aux contrevenants ?
Quant aux États, ils devraient pénaliser lourdement les organismes de leur ressort qui pratiquent l’évasion fiscale ou qui ont des comptes dans les paradis fiscaux.

Encadrer et contrôler les marchés des matières premières
Un autre chantier très important devrait porter sur l’encadrement, c’est-à-dire le contrôle, des marchés des matières premières et des produits agricoles. En effet, il suffit de quelques spéculateurs pour déclencher des variations de cours sans liens avec la loi de l’offre et de la demande. Ces hausses et ces baisses très excessives des cours ont des bases souvent virtuelles, mais des conséquences bien réelles. Elles constituent une source supplémentaire de déséquilibre des marchés dont les principales victimes sont plusieurs milliards d’individus, principalement de pays pauvres.
Des bourses pour les matières premières sont certainement nécessaires à condition que l’objectif initial, de fluidifier les marchés, ne soit pas remplacé par de la pure spéculation, effrénée et incontrôlée. Qu’une cargaison change des dizaines de fois de propriétaire en quelques jours est tout à fait anormal et donc à proscrire. La meilleure façon, me semble-t-il, de lutter contre la spéculation serait de taxer les transactions, taxe basée sur le montant de celles-ci et non sur les plus-values réalisées. Si je ne me trompe, c’est ce qui a été fait entre les deux guerres, avec succès, pour l’or quand il était garant de monnaies et l’objet de spéculations à un niveau qui n’était plus supportable.
 

L’EUROPE DOIT AGIR

Tous nos pays sont engagés dans des spirales mortifères. Les gouvernements nationaux et les hauts responsables européens vont-ils un jour en prendre conscience et réagir ? Et je ne parle pas de la plus élémentaire décence vis-à-vis des victimes de ce système qui sont de plus en plus nombreuses à rejoindre les chemins de la pauvreté, de la détresse, de la violence !
Larry Fink, fondateur et dirigeant de BlackRock, fonds d’investissement le plus important au monde, adresse tous les ans une lettre aux plus grandes entreprises et à d’autres fonds majeurs, dans lesquelles il expose sa désapprobation et sa mise en garde au sujet de toutes ces dérives. Hélas, sans résultat !

La Commission européenne, appuyée par le Parlement, devrait se saisir de la plupart des sujets qui précèdent afin de faire cesser ces abus mortifères pour les pays de l’Union en particulier, et ceux de l’ensemble du Monde.

Un autre point très important compte tenu de ce qui précède est la politique qui consiste à transférer au privé le plus possible de missions assurées par les Services publics ou parapublics, souvent sur Directives européennes.
D’abord, ce n’est pas aux lobbies de faire la politique des États et de l’Union et, d’autre part, le privé et la concurrence ne sont pas forcément la panacée. Un exemple parmi beaucoup d’autres : la Sécurité sociale française et les mutuelles complémentaires. Outre le fait qu’il y a un double traitement des dépenses de santé, les mutuelles ont des coûts de gestion, mais surtout commerciaux, très élevés. Si la Sécurité sociale assurait ses propres remboursements et ceux des mutuelles complémentaires, les coûts pour les assurés sociaux seraient sensiblement moindres. Quant à confier sa retraite intégralement au privé, je ne suis pas sûr que tous les retraités Américains le recommanderaient après la dernière crise financière.

La Commission devrait aussi imposer aux institutions et sociétés européennes d’utiliser autant que possible l’Euro et non le Dollar afin d’éviter de très coûteuses sanctions américaines, et les pénaliser lourdement quand elles font des opérations illégales au regard de l’Union, comme c’est le cas aux États-Unis.
L’Union doit devenir adulte et cesser d’être sous la tutelle américaine, d’autant plus que ce pays ami l’est de moins en moins. Il serait bon qu’elle fasse sienne le proverbe : Mon Dieu, protège-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m’en charge !.
 

BREXIT

Le Brexit est une ineptie dans ce monde mondialisé qui fait de chacun de nous des nains économiques et politiques.
Quel bénéfice en tirent les classes moyennes et pauvres anglaises, celles qui ont fait le Brexit. Je pense, et crains, qu’elles en soient les premières et principales victimes, mais ce n'est plus notre problème.
En revanche, pour ce qui nous concerne, nous avons à notre porte une City très agressive, pour ne pas dire plus, qui nous conduira à notre perte si nous n’y prenons pas garde. Aussi est-il plus que jamais fondamental de prendre en compte ce qui est évoqué dans ce chapitre et de le mettre en œuvre au plus vite : il faut dresser un cordon sanitaire financier entre Londres et l'Europe continentale.

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BILLET D'HUMEUR

Des aides aux entreprises, y compris à celles qui fraudent le fisc à grande échelle, sans discernement ni contreparties,
Une balance commerciale au déficit abyssal même quand le prix du pétrole et le cours de l’Euro étaient au plus bas,
Des lois fiscales et sociales qui changent en permanence, souvent incompréhensibles et contre-productives,
Une croissance faible,
Un chômage très élevé…
Devant une telle situation, il faudrait s’attaquer sérieusement aux facteurs qui bloquent notre économie et donc l’emploi, même si des progrès ont été faits ces toutes dernières années ?
Mes essais 57 vs 44 % , Refondations , Vitale Europe , Agir ou Subir ? , complètent l’analyse présentée ci-dessus.

Mars 2022

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